Bulletin des Langues Orientales (INALCO) : « Orients »
Fruit d’un travail extrêmement fouillé, ce récit très vivant se lit comme un roman. Il retrace les débuts de la vie professionnelle d’Henri Maux, ingénieur des Ponts affecté au Cambodge, puis en Cochinchine, pour la mise en œuvre de Grands Travaux : le premier chemin de fer du Cambodge, la ligne Phnom Penh – Battambang.et l’aménagement de l’Hydraulique agricole dans le delta du Mékong. L’auteur s’attache à faire revivre son père à travers toute une période riche en événements et en bouleversements aussi bien en France métropolitaine que dans ses colonies d’Extrême-Orient. Au fil des pages, elle dévoile les multiples facettes de la personnalité hors du commun de ce jeune homme enthousiaste, plein de gaité, sportif, curieux de tout et mû par une foi profonde. Avec un grand souci d’exactitude, c’est une véritable étude de la société coloniale dans ce pays sous protectorat français, qu’Antoinette Maux-Robert nous livre. Elle montre l’attachement de son père pour ce pays où il se passionne pour l’art khmer, son émerveillement devant Angkor et son intérêt pour les coutume et les fêtes ancestrales auxquelles il participe : la Fête des Eaux étant sans doute l’une des plus spectaculaires, avec ses joutes de pirogues chamarrées. On peut y voir le roi Monivong prenant des photos de la foule du haut de son palanquin perché sur un éléphant. Entre deux séjours en Extrême-Orient, Henri Maux effectue un tour du monde qui aura un grand impact sur sa vie future, entre autres sa découverte de la Chine. Les vacances en France sont l’occasion d’une prise de conscience de l’atmosphère qui y règne en cette période d’entre-deux guerres, riche en bouleversements politiques et sociaux. Les retrouvailles familiales, émouvantes et chaleureuses, dans le sud-ouest, témoignent de la vie de l’époque. Cet épisode passionnant de la vie d’Henri Maux se clôt par le mariage des parents de l’auteur…
Pour le Bulletin de la bibliothèque de l’académie des Sciences d’Outre-Mer
Ce beau livre n’est ni un ouvrage d’histoire au sens habituel du terme, impliquant un regard distancié, ni un recueil de souvenirs. Il est tout cela à la fois, puisqu’il s’agit d’une fille qui parle de son père. L’ouvrage raconte, avec empathie et émotion, un parcours, le début d’une vie active reconstituée à partir d’une documentation de première main : la correspondance nourrie d’Henri Maux, jeune ingénieur frais émoulu des Ponts et Chaussées et nommé au Cambodge, entretient avec sa famille restée en France. Henri Maux (1901-1950) commence en 1927 sa carrière dans ces années cruciales qui virent, tant en Europe qu’en Extrême-Asie, naître les luttes inexpiables que l’on connaît. Glissant du plan politique au plan militaire, elles aboutiront à la Seconde guerre mondiale puis aux mutations sociales et économiques marquant si fortement la seconde moitié du XX° siècle. On suit pas à pas le jeune homme, qu’animent un enthousiasme et un sentiment moral exigeant. On le voit dans un premier temps découvrir le monde avec fraicheur, un bonheur intense et une certaine naïveté. D’une lettre à l’autre – car tels sont les matériaux dont sa fille tire ici, avec une remarquable puissance d’évocation, la mise en scène d’une décennie de vie – passent ainsi ses étonnements et ses éblouissements. Mais si Henri Maux, confronté à l’Asie orientale dans ce temps si particulier de « l’entre-deux guerres », la regarde d’abord à travers le prisme de la société coloniale française en Indochine, il ne tarde pas à s’en affranchir. Il se méfie vite et avec clairvoyance de cet environnement dont il perçoit déjà les fragilités, qu’il décrit peu à peu avec une grande finesse d’analyse. Ces talents et cette liberté d’esprit – il ne se laisse enfermer dans aucun système pré-pensé, tout en gardant un sens très vif des réalités humaines et pratiques – attire l’attention de Paris (où Maux vient de rejoindre un poste au Ministère des colonies). Et le gouvernement du Front populaire recrute bientôt cet ingénieur compétent, en tant que conseiller technique auprès de Matignon pour les Grands travaux d’utilité publique. Mais Maux démissionne dès 1936, ne supportant plus l’atmosphère délétère des milieux officiels parisiens. Il lui faut l’aventure, le terrain. Aussi ressent-il une joie profonde lorsque la SDN le nomme conseiller technique auprès du gouvernement de Tchang Kai-shek. Ce moment crucial de sa carrière lui permet enfin de réaliser un rêve : obtenir son premier poste en Chine. N’était le dramatique intermède de la guerre mondiale, c’est à ce pays qu’il consacrera désormais l’essentiel de son activité, sur laquelle l’auteur a déjà publié deux ouvrages remarqués… Et comme dans les contes de fées, le livre se termine sur un mariage…
Revue d’Histoire diplomatique
…On retrouve dans ce livre les traits et qualités des précédents ouvrages: un style coloré, précis et vivant qui rend sa lecture agréable. Des sources variées : archives historiques, personnelles et familiales, entretiens avec des témoins et contemporains. Cet ouvrage est avant tout un livre d’ambiance, écrit tout en petites touches subtiles et délicates sur l’Indochine coloniale d’alors. La période cambodgienne d’Henri Maux ( cinq ans) est peinte avec bienveillance : les pages qui y sont consacrées nous donnent à voir un pays de beauté et de douceur, empreint d’insouciance. La monarchie y est décrite comme à la fois « divine et théâtrale ». On assiste, aux première loges, à la Fête des Eaux, aux cérémonies de crémation du roi Sisowath, ou au couronnement du roi Monivong. On parcourt les rues de Phnom Penh, petite ville de 70 000 habitants, « tranquille dans un immense et riche pays, sans un seul kilomètre de chemin de fer ». On parcourt le pays en tous sens, en accompagnant Henri Maux dans ses tournées d’inspection pour la construction d’un barrage, d’un pont à construire ou à consolider, ou encore de routes. On prend part avec lui à l’expédition de reconnaissance de la future route coloniale 14 Saigon-Tourane, on assiste à l’inauguration, en 1932, du premier chemin de fer, Phnom Penh-Battambang. On se faufile également à travers les temps de la civilisation khmère dont Henri Maux est devenu fin connaisseur. Ce livre est à la fois une sorte de guide de géographie, de culture et de civilisation Il offre le portrait d’une Indochine française qui « semble presque devoir durer toujours » même si les prémices d’un certain mécontentement existent. Si l’élite intellectuelle indigène n’a guère sa place dans la vie publique, il demeure que le Cambodge ne connaît pas les soulèvements qui affectent parfois d’autres régions de l’Indochine française, en particulier le Tonkin (Yen Bay). Mais ce volume n’est pas seulement cela : il nous montre une période de développement d’infrastructures, de communication, notamment le chantier du chemin de fer Phnom Penh-Battambang. C’est une période faste de modernisation et nombreux sont les projets qui fleurissent alors : éducatifs, sanitaires, d’équipements et d’infrastructures. Une nouveauté, notamment, est l’essor de l’hydraulique agricole, dont Henri Maux devient progressivement un spécialiste reconnu et apprécié. Cette dernière doit permettre une révolution dans l’agriculture, en particulier pour la culture du riz. Tout n’est pas idyllique cependant dans la pratique professionnelle de notre personnage : sans guère de surprise, on voit quelques exemples des difficultés administratives aux quelles il se heurte parfois, et pas seulement à Paris. En effet, l’ingénieur en chef qu’il est rapidement devenu, dépend à la fois du Résident Supérieur du Cambodge, à Phnom Penh, et de l’Inspecteur général des Travaux publics, dichotomie source de contradictions fréquentes entre la ligne « hiérarchique » et la ligne « technique ». Après le Cambodge, une fois les plus gros chantiers lancés ou en cours d’achèvement, Maux souhaite désormais participer à l’aventure de l’Hydraulique agricole en Cochinchine. Il est nommé responsable de la Circonscription d’Hydraulique agricole et de Navigation du Sud-Indochine, avec pour résidence Saigon, entre 1935 et 1937. En Cochinchine aussi, sa compétence est particulièrement indispensable, les Travaux publics sont un aspect déterminant pour la colonie qu’il s’agisse des routes, des voies ferrées, des transports fluviaux et maritimes. Le secteur hydraulique, plus spécialement, est vital pour la culture du riz, base de la nourriture de la population. Le service d’Hydraulique que dirige Maux, pendant deux ans et demi, donne un élan considérable aux canaux, étend la superficie des terres draguées, permet l’essor de la culture du riz. On assiste aux tournées de Maux dans le delta du Mékong, où on patauge des jours durant dans la vase, on se retrouve quelque temps plus tard empruntant les longues avenues ombragées de Saigon et plongé dans sa vie mondaine… Comme pour la période cambodgienne, la période cochinchinoise de notre ingénieur colonial donne une impression « d’abondance heureuse ». Calme trompeur. Maux est resté en tout huit ans en Indochine. De retour à Paris, après un court passage au Cabinet de Jules Moch, pendant le gouvernement du Front Populaire, il obtient un poste d’expert en Chine pour le compte de la SDN.
Journal des Ponts et Chaussées PCM
L’Ecole des Ponts et Chaussées possède les archives photographiques professionnelles d’Henri Maux en Asie. Mme Lacourt, archiviste, a organisé à l’été 2014 une exposition intitulée « Le Pékin 1930 de l’ingénieur Henri Maux » qui a été visible pendant trois mois dans le hall de l’école des Ponts et Chaussées. Elle reste présente sur le site de l’Ecole.