Revue d’Histoire diplomatique
MAUX-ROBERT, Antoinette. En mission dans le tumulte asiatique : Henri Maux 1945-1950. Cholet : Editions de l’Ouest, juin 2011.
Par Thierry Robin, Centre d’Histoire de Sciences Po (CHSP), Janvier 2011
Avec ce quatrième récit se termine la série de publications retraçant la vie d’Henri Maux (après La politique des grands travaux en Indochine, Le Dragon de l’Est, La lutte contre le chômage à Vichy). Antoinette Maux-Robert, dans Le Dragon de l’Est, paru en 1999, avait relaté les missions accomplies pour la SDN par son père, alors jeune ingénieur des Ponts et Chaussées coloniaux, dans la Chine de 1937-1939. Dans ce volume, couvrant les années 1945-1950, nous le retrouvons en Asie, comme chef de la Mission économique française en Extrême-Orient et aussi comme représentant de la France à l’ECAFE (Economic Commission Asia and Far East).
Autant le dire d’emblée, voilà un ouvrage à la fois passionnant et instructif.
A. Maux-Robert nous livre ici un texte fort bien écrit et extrêmement vivant, qui se lit comme un roman, où l’on suit pas à pas les tribulations du héros. L’auteur a pu et su s’appuyer non seulement sur les archives du ministère des Affaires étrangères (administration centrale, CAOM, CADN) et du ministère des Finances mais aussi sur de nombreuses archives familiales. Il a pris la peine d’interroger une soixantaine de témoins – collectant des témoignages d’autant plus précieux que les protagonistes ont aujourd’hui disparu. A la plume de l’écrivain s’ajoute le professionnalisme de l’historien.
Mais ce qui retient l’attention au premier chef est l’éclairage très riche porté sur les relations économiques franco-chinoises dans l’immédiat après-guerre. De ces relations, Henri Maux a été l’artisan inlassable, apportant compétences, convictions, humanité. L’apport de la lecture étant multiple, limitons-nous à souligner ici quelques aspects particuliers.
A. Maux-Robert, à juste titre, accorde une grande place à l’Indochine : le premier souci des autorités françaises est de redonner à la France une place en Asie, où son prestige s’est effondré. Elle met bien en lumière le double jeu des autorités nationalistes chinoises puis l’évolution de l’attitude de Chiang Kai-shek quant à la présence française en Indochine, d’abord rejetée, puis souhaitée quand la guerre civile reprend. Cette évolution est également celle des Américains, les nécessités de la lutte contre le communisme en Asie dans le nouveau contexte de la Guerre froide prenant progressivement le pas sur les considérations anticoloniales. Mais l’importance de l’Indochine tient aussi au fait qu’elle est la clé de voûte de toute politique chinoise de la France après 1945, au plan économique, ce que l’auteur démontre parfaitement, exemples à l’appui.
Un autre intérêt du livre est de mettre en évidence les difficultés et les lacunes de la coordination de l’action économique extérieure française et les méfaits de la mésentente entre ministères, en particulier Affaires étrangères et Finances. La Mission économique française en Extrême-Orient affiliée à ces deux ministères, cristallise les oppositions, alors qu’en Asie, et en Chine tout spécialement, questions économiques et politiques sont souvent imbriquées ; sans compter que les moyens, surtout à partir de 1948, sont sévèrement restreints. Et pourtant, on voit l’Angleterre, en proie dans le même temps à ces difficultés financières, faire preuve de générosité quant aux moyens de sa présence en Asie.
L’ouvrage met au jour l’action de la Mission économique française en Extrême-Orient, sous l’impulsion de Maux et de ses collaborateurs, comme organisatrice des échanges commerciaux entre la France et la Chine après la deuxième guerre mondiale. La Mission a constitué une tentative de renouvellement des méthodes d’expansion économique française en Asie dans le nouveau contexte international de l’après-guerre. La quasi-totalité des relations économiques et financières franco-chinoises sont passées par son canal entre le printemps 1946 et la fin de 1949, date de sa liquidation. On peut citer à son actif la relance de la collaboration aéronautique franco-chinoise et le prolongement de la ligne civile de Saigon à Shanghai par AIR FRANCE, qui devient ainsi la première compagnie aérienne européenne à assurer la desserte commerciale de Shanghai. On doit mentionner aussi le rôle de la Mission dans la fourniture du Maroc en thé vert, qui deviendra une problématique importante de la balance commerciale du royaume chérifien dans les années 1950. Elle tente de participer à l’effort de modernisation industrielle chinoise en suscitant une soixantaine d’affaires, que le contexte (chaos monétaire, guerre civile, manque de matières premières, désorganisation des communications et du commerce extérieur, corruption) ne permet cependant que rarement de réaliser. Il y a un contraste saisissant, dans tout le livre, entre les efforts déployés et le résultat de ces efforts, assez limité au final.
Les pages consacrées aux premières relations avec les communistes présentent un intérêt certain : à partir du printemps 1949, la priorité de Maux est de nouer des contacts avec le nouveau régime communiste. Son opinion est que la France a en Chine une longue tradition, des institutions culturelles, des maisons de commerce bien implantées : dès lors que les Français désirent opérer des échanges loyaux et réciproquement avantageux, il faut s’efforcer de tenir les positions sur place ; d’autant que l’URSS, selon lui, ne pourra suffire à satisfaire les besoins du nouveau régime communiste. N’est-ce pas précisément ce qu’il tente de faire, depuis quatre ans, de défendre les positions économiques françaises, dans un contexte hostile ? En tentant de nouer un dialogue avec les nouveaux hommes forts de la Chine, Maux préfigure la politique anglaise de « mettre un pied dans la porte » et quelque temps après, la politique de la France en RPC de 1950 à 1952 : tenir « coûte que coûte » les positions locales, en attendant des jours meilleurs.
De nombreuses pages sont consacrées à l’action de Maux comme délégué permanent de la France aux conférences de l’ECAFE. En effet, l’ONU s’est dotée, à sa création, d’un Conseil économique et social, dont le premier représentant permanent pour la France a été Pierre Mendes France. Or, sous la pression de l’Inde et de la Chine, soucieuse que l’effort de reconstruction ne bénéficie pas qu’à la seule Europe, elle a décidé de lui adjoindre une branche asiatique, l’ECAFE, au printemps 1947. Henri Maux y dirige la délégation française aux conférences internationales bisannuelles. Il y déploie une activité inlassable, qui empiète sur son rôle de chef de la Mission économique. Si le bilan de l’ECAFE est maigre, l’action de la France qui s’y déploie, au milieu des jeux politiques, des tensions entre Européens et non Européens, dans un contexte de guerre froide et de luttes nationalistes (en Indonésie, au Vietnam…) est loin d’être négligeable. Les développements consacrés à l’ECAFE offrent une excellente illustration des luttes d’influence de tous ordres qui s’y jouent. L’action de la France, finalement, a surtout pour intérêt d’affirmer une présence et de déjouer les intrigues et initiatives qui lui seraient préjudiciables -et on voit qu’elles ne manquent pas, ainsi que de lancer dans le grand bain les représentants des Etats associés, encore novices dans les conférences internationales.
Le dernier chapitre est particulièrement émouvant. Consacré à la mort tragique d’Henri Maux, en service commandé, dans l’accident d’avion de Bahreïn, sur la ligne d’Indochine, alors qu’il se rendait aux Conférences inter-Etats de Pau, le 13 juin 1950, il témoigne de l’abnégation et du sacrifice de ces hommes morts pour défendre les positions et les intérêts de la France dans le monde.
Consulter le blog de l’Ecole des Hautes études de Sciences Sociales (EHESS) : par Jacqueline Nivard
http://chinelectrodoc.hypotheses.org/2916
Revue de livre par Le Mong Nguyen
Antoinette MAUX-ROBERT, Henri Maux, En mission 1945-1950 dans le tumulte asiatique, Editions de l’Ouest par B.P. 70152 49301 Cholet cedex 2011, 620 p. (En collaboration avec les éditions Pays & Terroirs Cholet)
Le livre d’Antoinette Maux-Robert sur Henri Maux, est un hommage filial émouvant de l’auteur à son père : «… Partir est le titre de quelques lignes, retrouvées parmi ses notes, inspirées par ses déplacements à ce Haut Fonctionnaire que la France a décidé d’envoyer en mission dans le tumulte asiatique des années 1945-1950. Grâce au talent de sa fille, le lecteur peut à son tour partir, et grâce aux nombreuses anecdotes extraites de notes, de témoignages ou d’archives, remonter le temps dans les conditions d’un voyage d’agrément, pour découvrir le charme de la culture, des paysages, des modes de vie de ce monde asiatique en pleine effervescence, à une période charnière de son histoire. L’auteur réussit le tour de force de ne pas sacrifier au roman, et de conserver à chaque instant la rigueur de l’historien ». La présentation abrégée de cet ouvrage par l’éditeur, correspond assez bien à mon impression générale, d’autant plus que si Antoinette Maux-Robert paraît vouloir rester objective dans l’exposé des faits, elle laisse parfois transparaître ses sentiments quand elle évoque le contenu des lettres ou télégrammes parfois si poignants, adressés par Henri à Hélène et à ses filles très jeunes (Antoinette n’avait que 10 ans à la mort de son père en 1950 dans un accident d’avion à Bahreïn sur la ligne d’Indochine. Le ministre plénipotentiaire français se rendait à la Conférence Inter-état dont il avait présidé les travaux préparatoires).
Henri Maux est né le 08 décembre 1901 à Béziers (sous-préfecture de l’Hérault). Polytechnicien (promotion 20N), « Ce haut fonctionnaire français, ingénieur des Ponts et Chaussées coloniaux, est devenu, au fil des affectations, l’un des spécialistes reconnu de l’Extrême-Orient. Dans les années de l’après guerre, il a exercé une influence en Asie. D’abord à cause de ses compétences professionnelles, mais aussi en raison de ses qualités humaines. Tous ceux qui l’ont approché, sont restés frappés par son ardeur, sa gaieté, sa simplicité et son attention aux autres, qui s’exerçaient en toutes circonstances et dans les endroits du monde les plus variés ». Voilà en prologue, l’essentiel du long récit historique de 620 pages que l’auteur nous a rappelé, en donnant apparemment la priorité aux relations fondées sur l’amitié plutôt que sur la raison, dans les conférences internationales, dans le cas d’Henri Maux. Pour parodier un mot de Pascal, on dirait du père d’Antoinette : « On s’attendait de voir un diplomate, et on trouve un homme ».
De la biographie en début de carrière de Maux entre 1927 et 1932, on retient l’image d’un technicien talentueux, Ingénieur des Travaux publics coloniaux au Cambodge « … ce petit royaume cher à son cœur… ». C’est en effet dans cette région lointaine de l’Orient, qu’il a commencé sa carrière d’ingénieur des Ponts en 1927. « Les six années qu’il a passées dans ce pays, l’ont attaché à jamais à l’Asie et, plus particulièrement, à cette contrée qu’il a sillonnée par tous les moyens de transport : à pied, en voiture, en car, à dos de cheval ou d’éléphant. Il a aimé cette existence libre, a construit des centaines de ponts, et consolidé des milliers de kilomètres de routes et de pistes… » (p.500). Il a en outre « supervisé la construction du premier chemin de fer du pays, le Phnom Penh-Battambang, au début des années 1930 » (p.502). Au retour en congé, il fait le tour du monde par la Corée, le Japon et les Etats-Unis d’Amérique. Il retournera par avion au Cambodge en 1949 le soir même du 11 novembre, après avoir assisté à Saigon (Sud-Cochinchine), aux côtés des généraux De La Tour et Carpentier, au défilé des troupes de plus de 6000 hommes (tirailleurs sénégalais, parachutistes français et cambodgiens, unités annamites, Tabors marocains, Légion étrangère). Maux avait rendez-vous le lendemain matin avec le roi Sihanouk (alors âgé de 25 ans) dans son beau Palais qu’il connaît bien « pour avoir posé l’électricité dans les habitations des épouses et concubines royales, laissées jusque-là sans aucun confort » (p.503), afin de lui parler des résultats très satisfaisants de la cinquième session de l’ECAFE (Commission économique d’Asie et d’Extrême Orient) de Singapour, qui s’est tenue du 20 au 29 octobre 1949. L’indépendance a été octroyée aux trois Etats associés : le Cambodge, le Laos et le Vietnam non communiste, dans le cadre de l’Union Française. Les débats de l’ECAFE sont abordés. Il en est de même de la signature très récente du traité franco-cambodgien le 8 novembre, qui apparaît comme l’un des premiers actes du gouvernement Georges Bidault. Les deux hommes évoquent à l’occasion le projet du chemin de fer de Rem menant à la côte car « Sihanouk voudrait aménager un accès direct à la mer, pour ne plus dépendre de ses voisins vietnamiens et du port de Saigon, si encombré » (p.502).
Après une période de stage au ministère en métropole (1935-1937), il est nommé chargé de mission au cabinet de Jules Moch (Gouvernement du Front Populaire). En 1937, il est envoyé en mission pour le compte de la Société des Nations (SDN) comme Conseiller détaché par cette organisation, auprès du gouvernement de Chiang Kai-shek pendant le conflit sino-japonais, alors que le Japon allié de l’Allemagne nazie, occupait encore les deux tiers du territoire. L’ingénieur Maux suit le gouvernement de la Chine libre jusqu’à Chungking, en inspection du réseau routier, notamment sur la route de Birmanie qui était à l’époque, réputée très dangereuse. Son collègue et ami hollandais François Bourdrez ayant disparu dans les gorges du Yangtsé, Maux est pourtant allé tout seul à la recherche de son corps.
En 1939, Maux retourne dans la France en guerre pour être mobilisé au mois d’août, sur la Ligne Maginot et après cela, au ministère des Colonies et dans le Réduit breton. Maux est appelé l’année suivante au cabinet de René Belin qui vient de créer le Commissariat à la Lutte contre le Chômage, pour le poste de Commissaire-adjoint au CLC concernant la zone sud. Il devient commissaire par intérim en octobre 1942 au ministère du Travail à Vichy. Fonction difficile et délicate, qui consiste à « assurer du travail dans des conditions dignes, à des hommes et des femmes de toutes conditions et origines, auxquels il évite ainsi l’envoi en Allemagne (Service du Travail Obligatoire)… ». Cette activité fait l’objet d’un autre ouvrage La lutte contre le chômage à Vichy : Henri Maux, le Juste Oublié, 1939-1944, consacré à son père par Antoinette Maux-Robert, qui a obtenu le Prix Auguste Pavie, décerné à son auteur par l’Académie des Sciences d’outre-mer en 2002. De 1945 à 1949, Henri Maux est envoyé par le général de Gaulle en Chine (nationaliste) auprès du gouvernement de Chiang Kai-shek qui siège à Chungking, puis Shanghaï, puis Hong-Kong. Mission très importante et difficile, que le Polytechnicien-ingénieur des Ponts et Chaussées aura remplie de manière consciencieuse jusqu’à sa disparition en 1950.
Antoinette Maux-Robert consacre une grande partie de son récit à la Mission Économique Française d’Extrême-Orient dont le décret de création est signé par Félix Gouin, président du GRPF le 13 mai 1946 (l’un des derniers actes de sa courte présidence) et Georges Bidault, ministre des affaires étrangères et André Philip, ministre de l’Économie et des Finances. En application du décret, Henri Maux, est nommé Chef de la Mission par arrêté du 09 juin 1946 : « Il est placé sous l’autorité de l’ambassadeur de France en Chine, qui doit l’introduire auprès des autorités gouvernementales et locales. Les rapports de mission seront envoyés à la direction des Affaires économiques du ministère des Affaires Étrangères, qui affecte une secrétaire – Mlle Pelletier – au secrétariat de la Mission. Les modalités financières de la Mission sont fixées. Le salaire du Chef de Mission est celui d’un conseiller commercial, dont il a le rang. Sa rémunération est imputable au gouvernement de l’Indochine – son affectation d’origine – et seuls ses voyages et ses dépenses en Chine, sont financés par la Mission. Les collaborateurs du chef de Mission sont, pour commencer, au nombre de cinq et leurs salaires sont alignés sur ceux des personnels des ambassades ».
Son Passeport diplomatique – République Française (avec sa photo) contient les mentions suivantes : NOUS, Ministre Secrétaire d’Etat au Département des Affaires Etrangères requérons les Officiers civils et militaires chargés de maintenir l’ordre en France et prions les Autorités investies de la même mission dans les pays alliés ou amis de la République Française de laisser librement passer Monsieur Henri Maux, Conseiller technique auprès de l’Ambassade de France en Chine et de lui donner aide et protection en cas de besoin. Fait à Paris, le 03 février 1945 (Le présent Passeport cessera d’être valable le 03 février 1947).
Les tâches de la MEFEO sous la direction du diplomate Henri Maux (conformément aux instructions données par lettre officielle datée du 13 juin 1946 et signée par les ministres des Affaires Étrangères et de l’Économie), portent sur quatre points ; 1/ Commercial : Pendant les trois mois d’octobre-novembre et décembre 1946, en faisant la navette entre Nankin et Shangaï régulièrement, le Conseiller Maux réussit – grâce à son habileté et ses amitiés avec des personnalités politiques chinoises de haut rang dont Tse-Ven Soong (beau-frère puis Premier ministre de Chiang Kai-shek, président de la République) – à mener à bonne fin les négociations des accords commerciaux franco-chinois ; 2/ Collaboration étroite avec l’Ambassade pour la défense des intérêts de la France en Chine et notamment dans les concessions rétrocédées, en vertu de l’accord du 28 février ; 3/ Durée des fonctions : « Vous assumerez les fonctions de conseiller commercial pendant toute la durée de votre mission. À ce titre vous aurez autorité sur les services de l’expansion économique en Chine ; 4/ Enfin, vous pouvez, moins que tout autre, méconnaître le rôle central que doit jouer l’Indochine dans ce réseau ». Sur ce point, grâce à un heureux concours de circonstances, le Chef de Mission ayant appris, le 02 septembre 1946 dès son retour à Shanghaï, la nouvelle de la nomination de Pechkoff au poste d’Ambassadeur de France au Japon, Maux quitte aussitôt Shanghaï le 07 septembre dans un quadrimoteur prêté par le général Mac Arthur au nouvel ambassadeur et en compagnie de ce dernier, les deux hommes évoquant la prolongation de la Mission au Japon. En gagnant Saigon, Maux obtient un accord de l’amiral d’Argenlieu qui institue une commission chargée de mettre au point un traité de commerce signé le 13 septembre 1946, confiant « à la Mission, une véritable représentation économique de l’Indochine sur les marchés extérieurs, analogue à celle que lui avait confiée le gouvernement français » (p.186-187) : exportations de riz et d’autres richesses de la colonie (bois, charbon, caoutchouc, étain).
Sur ce dernier point, et en faisant allusion en filigrane au problème indochinois, la narratrice de l’histoire écrit : « Le 16 juin 1946, trois jours après avoir reçu son ordre de mission, Henri Maux repart en Asie. Il compte se rendre d’abord à Saigon, puis gagner Shanghaï et Nankin, où il reprendra contact avec le gouvernement nationaliste. Il s’imagine partir pour quelques semaines, et pense revenir à Paris à l’automne. En réalité, son séjour en Extrême-Orient Asie va durer dix mois. ». Dans le cadre de ses nouvelles fonctions de délégué (qui s’ajoutent à celles de Chef de la MEFEO), Henri Maux de 1948 à 1950 est le Représentant, avec rang de ministre plénipotentiaire, de la France aux conférences de la Commission économique d’Asie et d’Extrême Orient et dirige la délégation française – avec rôle de caractère politique souvent – dans les conférences internationales biannuelles.
Le Vietnam contrairement aux deux autres Etats associés (v. supra) pose, en toile de fond, un problème pour son admission comme membre de la Commission économique d’Asie et d’Extrême-Orient (ECAFE), dont la cinquième session se tient à Singapour du 20 au 29 octobre 1949. Mais de quel Vietnam s’agit-il ? Celui de Bao Dai ou celui de Ho Chi Minh ? L’indépendance du Vietnam que ce dernier n’a pu obtenir de la France, a été officiellement accordée à S.M. Bao Daï pour le Vietnam et pour son unité en vertu de la Déclaration commune Bollaert-Bao Daï faite le 05 juin 1948 en Baie d’Along : « … La France reconnaît solennellement l’indépendance du Vietnam auquel il appartient de réaliser librement son unité », confirmée et précisée par lettre du 08 mars 1949 adressée à l’empereur par le président de la République Française : « … la France réaffirme solennellement sa décision de n’opposer aucun obstacle de droit ou de fait à l’entrée de la Cochinchine dans le sein du Vietnam, défini comme constitué par la réunion des territoires du Tonkin (Nord-Vietnam), de l’Annam (Centre-Vietnam) et de la Cochinchine (Sud-Vietnam)… ». Par contre, du côté adverse, c’est Ho Chi Minh qui – afin de gagner les patriotes révolutionnaires de vitesse – s’est empressé de proclamer, le 02 septembre 1945, l’indépendance formelle du Vietnam alors qu’il n’avait pas encore les moyens de sa politique, dès la capitulation et le départ des Japonais (après Hiroshima et Nagasaki), qui avaient occupé l’Indochine depuis leur coup de force du 09 mars. Le dossier favorable au Vietnam nationaliste ayant été constitué impeccablement au double point de vue politique et économique par le ministre plénipotentiaire Henri Maux, chef de la délégation française, aboutit – le 21 octobre – à un vote très positif pour l’ex-empereur Bao Dai, chef de l’Etat qui l’emporte ainsi par 8 voix, 3 abstentions et une absence : c’est une victoire incontestable des femmes et des hommes épris de liberté sur la dictature et l’esclavage …Pas pour longtemps d’ailleurs, puisque qu’ « avant que ne sonne la dernière heure de 1949, toute la Chine continentale est devenue communiste, (à l’exception du Tibet)… La République populaire est née et les humiliations des siècles précédents sont effacées. Mao Tsé-tung vient aussi, sans coup férir, de transformer radicalement la guerre d’Indochine. On sait que les Chinois ne laissent rien au hasard : sans risquer un seul homme, sans provoquer les USA, ils ont désormais les moyens de lancer un plan d’aide au Vietminh… » (p.513).
Épilogue : 1/ Lettre de Saigon envoyée par Henri Maux à son épouse Hélène le 25 mai 1950 : « J’irai certainement à la conférence de l’ECAFE, à Lahore, en février 1951, puisque comme président, je dois ouvrir la séance. En revanche, à l’avenir, je n’ai plus envie de travailler pour l’Indochine. Je voudrais que nous puissions vivre un peu ensemble. Il me semble que la vie, et plus particulièrement notre amour, qui en est la grâce et la lumière, nous glisse entre les doigts. Nous ne la réalisons pas assez, et nous ne la savourons que par brèves et hâtives minutes… ».2/ « Ma chérie, si cette lettre te parvient, c’est qu’il me sera arrivé un accident… Au revoir, ma chérie, si tu ouvres cette lettre, sache que ma dernière pensée aura été pour toi. Et que je te protégerai et t’attendrai. Henri. » (Lettre de Maux à Hélène, retrouvée après la mort de son époux à 48 ans, à l’aube du mardi 13 juin 1950).
LE MONG NGUYEN
Membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer
Paris, mai 2012
La Libre Belgique, Bruxelles
par Philippe Paquet, sinologue
Mis en ligne le 13/02/2012
Du Pékin des Qing à la Chine des coloniaux » Parmi les lectures à recommander, cette semaine, trois livres hors du circuit de la grande diffusion : il faut donc faire l’effort de les trouver (en les commandant chez son libraire ou en les achetant en ligne), mais cela en vaut la peine, car ces ouvrages nous éclairent sur une Chine qui a disparu et …sur le rôle singulier qu’y jouèrent des personnages hauts en couleur. Antoinette Maux-Robert a ainsi entrepris, au prix de recherches minutieuses, de raconter l’incroyable destin de son père. Ingénieur français des Ponts et Chaussées, Henri Maux commença sa carrière en Indochine en 1927, mais, choqué par l’esprit colonial, le brillant fonctionnaire s’en alla travailler pour la Société des Nations en Chine où il devint un proche conseiller de Chiang Kai-shek pendant le conflit sino-japonais. Cette période est décrite dans le premier tome d’une trilogie intitulé « Le Dragon de l’Est » (1999). Tandis que le deuxième tome était consacré aux années de guerre de ce « Juste oublié » en France (« La lutte contre le chômage à Vichy », 2002), le troisième et dernier, qui vient de paraître, voit Henri Maux revenir en Asie, où il trouvera accidentellement la mort en 1950. C’est sur tout un continent, à une période charnière de son histoire, que l’auteur jette une lumière éclairante. Antoinette Maux-Robert, « Henri Maux. En mission dans le tumulte asiatique, 1945-1950 », Cholet, Editions de l’Ouest, 2011, 620 pp., 35 € env.
Notes bibliographiques
Ce troisième volume sur la vie d’Henri Maux – par sa propre fille – nous mène de 1945 à 1950. Ingénieur des Ponts et Chaussées, Henri Maux retourne après la deuxième Guerre Mondiale en Asie du Sud-Est où il avait déjà fait quelques missions. Grâce à son expérience et à ses compétences, il s’impose rapidement comme » l’autorité » des relations économiques de la France avec différents pays: Indochine et Chine principalement… Promis à un brillant avenir, une mort accidentelle l’empêche de poursuivre ce rôle déterminant. Discrète sur la vie de famille, cette biographie est l’occasion de suivre au jour le jour les événements historiques qui en quelques années vont bouleverser la région : prémices de la guerre d’Indochine, triomphe de Mao Tsé-tung sur Chiang Kai-shek, soutien des Etats-Unis au Japon défait, débuts de la Guerre Froide. Ecrit de façon alerte, cet ouvrage, très documenté, apporte un éclairage instructif sur les luttes d’influence et l’importance de l’économie dans les relations internationales.
La Jaune et la Rouge. Journal des Polytechniciens
Par Jean-Claude Godard ( X56)
Par deux livres « Le Dragon de l’Est » et « La lutte contre le chômage à Vichy ou le Juste oublié » nous connaissons déjà les deux premières phases de la carrière, courte mais si passionnante, d’Henri Maux (1920N).Le nouveau livre « Henri Maux. En mission dans le tumulte asiatique 1945-1950 » porte sur la dernière partie de sa vie. Reconnu comme le meilleur connaisseur de l’économie chinoise, il créa la Mission économique française d’Extrême-Orient (MEFEO), à la requête du gouvernement de la Chine nationaliste auprès de la France, et qui demandait formellement à celle-ci que la direction en fût confiée à Maux.
Comme les précédents, ce livre est écrit par sa fille Antoinette Maux-Robert. D’un style très alerte, spontané mais élégant, elle peint l’immense fresque géopolitique de cet Extrême-Orient où se meut alors son père. Grâce à une riche documentation familiale, aux interviews d’anciens témoins, et à une véritable exploration d’historienne dans les archives diverses, le lecteur est sans cesse conduit sur cette ligne de crête entre les grandes forces stratégiques, économiques et politiques d’une part, et l’efficiente personnalité de son père, ainsi que celles des autres acteurs d’autre part….. Ce livre plaira à tous ceux qui s’intéressent à cette région du monde, aux passionnés d’histoire et de géopolitique. Ils y découvriront la haute figure de Henri Maux et savoureront la qualité historique et littéraire de l’ouvrage…
Var Matin
Pour l’amour de son père, Antoinette Maux-Robert devient écrivain.
Par Gisèle Koson-Dray, 15 janvier 2012,
Portrait : Dans son dernier livre, » Henri Maux, en mission dans le tumulte asiatique« , la Hyèroise dévoile un véritable personnage de l’histoire du monde.
Faut-il aimer son père et vouloir lui rendre hommage, pour lui consacrer trois livres !Mais cette quête du père dans les malles de l’enfance, ne sert-elle pas simplement à mieux le connaître ? Antoinette Maux-Robert l’avoue humblement : » J’avais à peine neuf ans lorsque mon père a disparu, et lorsqu’à l’âge de quarante-neuf ans, j’ai découvert l’existence de tous ces documents, j’ai souhaité d’abord en faire profiter toute ma famille. »
C’est ainsi que de pages en pages, de recherches en rencontres, elle devient une écrivaine passionnée d’histoire, qui donne des conférences… « Mais surtout, ajoute-t-elle, j’ai pu prouver à ma mère que j’ai mis à profit son autorisation de fouiller dans les archives de papa. » Henri Maux était ingénieur des Ponts et Chaussées devenu, par son travail, son humanité et son élégance, un homme d’influence de niveau international. Tout à tour chargé de mission, diplomate, haut fonctionnaire, il fut reconnu tout au long de sa carrière, comme l’un des meilleurs spécialistes au monde de l’économie chinoise et asiatique. Mais pour la petite Antoinette et ses quatre soeurs, ce père souvent absent, restera longtemps une énigme.
Elle va découvrir au fil de ses recherches, l’ampleur d’une oeuvre qui reste encore méconnue. Conseiller auprès de l’ambassade de France en Chine en 1945, Henri Maux participe à la création de la Mission économique française d’Extrême-Orient, en 1946. Enfin, au sein de l’ONU, il conduti la délégation française de l’ECAFE ( Economic commission for Asia and Far East) Les économistes et historiens y attachent aujourd’hui une certaine importance, grâce au travail … d’une petite fille devenue une grande dame.
Après le Dragon de l’Est et Le Juste oublié, Antoinette Maux-Robert offre ici plus de 600 pages d’une incroyable épopée. Au coeur des luttes de pouvoir et de la guerre sino-japonaise, elle nous conte la mission d’Henri Maux, son père, dans le tumulte asiatique, alors que la Chine cède peu à peu du terrain aux communistes
D’une écriture alerte et passionnée, Antoinette Maux-Robert entraîne le lecteur dans un véritable film d’aventures, à la différence que tous les faits sont réels, vérifiés et authentifiés par des experts de l’Asie. De nombreuses photographies prises par son père ou lui appartenant étayent ce témoignage unique. Mais hélas, ce fabuleux destin finit tragiquement lors d’un déplacement en avion: le crash a lieu à Barheïn, le 12 juin 1950.
Prémonition ou simple prudence, dans un dernier courrier, retrouvé froissé dans ses bagages, Henri Maux écrivait à son épouse : « Ma chérie, si cette lettre te parvient, c’est qu’il me sera arrivé un accident… Au revoir, sache que ma dernière pensée aura été pour toi. Et que je te protégerai et t’attendrai. Henri »
Ces milliers de lignes auront-elles suffi à Antoinette Maux-Robert pour percer le mystère de ce père trop tôt disparu? Probablement pas, mais elles ont été à coup sûr un tournant dans son existence. Encore aujourd’hui, elle effectue de nombreux voyages en Asie. « J’aime l’Asie et ses peuples » confie-t-elle. Après son expérience africaine auprès des enfants hospitalisés, il semble que l’héritage « international » d’Henri Maux soit passé par là.
Résidant désormais sur la presqu’île de Giens, elle n’hésite pas à dire sa chance d’avoir pu faire ces recherches pour les partager non seulement avec les lecteurs, mais aussi avec son mari, ses enfants, ses soeurs, neveux et nièces. Cette grande famille unie s’ajoute aux bonheurs et réussites qu’Henri Maux n’aura eu ni le temps ni la joie de connaître.